Le
05
MARS
2025
• Par
Chris Cowan (traduction HappyWork)
Il existe de nombreuses façons de diviser et de catégoriser le pouvoir. Ce dernier étant une construction protéiforme, de nombreux modèles existent pour l’expliquer.
Nous nous devons d’en ajouter un. Aussi probants que soient les autres modèles, je pense qu’il existe une façon plus simple de penser le pouvoir. Une telle façon simplifie également la compréhension de l’Holacracy.
Si nous n’avons pas d’abord une définition claire du pouvoir, comment pouvons-nous ensuite ambitionner d’en changer la donne ?
Notes :
1) Cet article est intentionnellement conceptuel et manque de conseils concrets. Il s’agit simplement de partager quelques distinctions philosophiques que j’ai trouvées utiles. Cela dit, je souscris à la déclaration du psychologue organisationnel Kurt Lewin: « Il n’y a rien de plus pratique qu’une bonne théorie ».
2) Je tiens à souligner que j’oriente ces typologies en fonction de ce que chacune déclenche en termes de sensations. La sensation de pouvoir étant quelque chose à laquelle nous pouvons tous nous identifier. Autrement dit, mon argument est que ces différentes typologies existent phénoménologiquement (dans notre expérience humaine), pas qu'elles existent ontologiquement (dans une réalité objective et impersonnelle). J'espère que ce propos liminaire revêtira tout son sens lorsque vous aurez lu ce qui suit.
« Contrôler » signifie que je maîtrise quelque chose à 100 %. Je peux contrôler les mouvements de mon bras. Je peux le bouger de haut en bas ou d'un côté à l'autre. Le contrôle de mon bras est absolu (ce qui m'aide beaucoup à m'habiller le matin). Il m'arrive d'avoir de petites contractions musculaires que je ne peux pas contrôler, et je n'ai aucun contrôle conscient de mon bras lorsque je dors, mais c'est à peu près le maximum de « contrôle » que l'on puisse avoir sur quoi que ce soit, et c'est donc suffisant pour cette définition.
Cela fait du bien de contrôler quelque chose. C’est l’une des choses les plus importantes à apprendre aux enfants, car ils ont très peu de contrôle sur presque tous les aspects de leur vie. Le fait de sentir qu'ils peuvent contrôler quelque chose favorise donc leur croissance et leur développement psychologiques. Bien sûr, en tant qu'adultes, nous aimons aussi le sentiment de contrôle, même si, comme je l'expliquerai plus loin, nous l'exerçons probablement un peu trop.
Familièrement, il nous arrive de nous laisser à dire des choses tel que « Mes enfants contrôlent mes week-ends » ou « Le patron contrôle ses employés ». mais bien que ces expressions puissent convenir dans le langage quotidien parce que c'est ce que l'on peut ressentir, selon ma définition du contrôle, elles ne sont pourtant pas techniquement exactes. Le mot « contrôle » gagnerait ici à céder le pas à celui de…
Si je peux contrôler mon bras, je ne peux certainement pas contrôler les autres. Je peux donc lever la main en classe, mais le professeur n’est pas obligé de m’appeler. Les normes sociales suggèrent que lever la main est un très bon moyen d’attirer l’attention. Ainsi, même si je ne peux pas contrôler l’enseignant, je peux influencer son comportement assez facilement.
Il importe de distinguer le contrôle de l’influence.
Même si nous sommes constamment influencés par les autres, quelqu’un a rarement un contrôle réel, physique et direct sur quelqu’un d’autre (en dehors de l’esclavage). Par conséquent, la plupart du temps, les relations humaines sont régies par l’influence et non par le contrôle.
Ainsi, même s’il est possible qu'une personne exerce une influence sur soi, proche de celle du contrôle, il est extrêmement important de distinguer les deux. L’influence peut ressembler au contrôle, mais elle n'y est pas pour autant identique.
Bien sûr, le sentiment d’influence varie considérablement. Si j'exerce 90% d'influence sur ce que vous faites, alors cela aura tendance à m'être plutôt agréable (sauf lorsque les 10% l’emporte). À l’inverse, si je sais que je n’ai qu’une influence de 10% sur un résultat, il est alors plus facile de rester placide. Puisque je ne peux pas m’identifier au succès ou à l’échec, je peux simplement faire de mon mieux et laisser faire le sort.
Le contrôle et l’influence nécessitent tous deux que vous ayez une sorte d’intention. Vous voulez faire bouger les choses : lever la main pour poser une question, vendre une voiture, ou obtenir votre vote. Mais il existe un autre type de pouvoir qui est catégoriquement différent car il s’agit du pouvoir dont vous disposez pour répondre à quelque chose ; en d'autres mots, votre capacité à vous adapter, ou « capacité d'adaptation ».
Par exemple, je ne peux pas contrôler la météo. Je ne peux pas non plus l'influencer. On ne demande ni mon avis ni mon consentement. Cependant, même si je ne peux pas influencer la météo, je peux y réagir. Je ne peux pas contrôler la pluie, mais je n’en suis pas complètement victime. Je peux reprogrammer le pique-nique, ou apporter mon parapluie, et cette liberté d’adaptation est une sorte de pouvoir (comparez-la à quelqu’un qui ne connaitrait pas la pluie).
La météo nous impacte sans notre consentement, mais généralement, nous ne nous sentons pas victimes.
Aujourd’hui, avoir une grande capacité d’adaptation fait du bien, car nous nous sentons moins vulnérable lorsque les choses se gâtent. Nous avons des options. Ainsi, même si c’est toujours pénible d’être coincé dans les embouteillages, avoir la possibilité d’écouter son podcast préféré permet d'alléger la situation.
Étant donné qu’une grande partie de la réalité échappe même à notre influence, et encore plus à notre contrôle, je pense que la capacité d’adaptation est la plus grande source potentielle de pouvoir qui nous est disponible. Encore une fois, je me concentre ici sur le sentiment de pouvoir, et lorsque je suppose que je devrais avoir un contrôle ou une influence sur tout ce qui se passe (c'est-à-dire que je devrais être capable d'empêcher que quelque chose de mal ne m'arrive), alors le pouvoir de réponse n'existe pas. Cela ne semble pas si précieux.
L'adaptabilité ne m'empêche pas de ressentir une frustration lorsqu'un évènement déroutant pointe le bout de son nez, mais elle me permet de ne pas me cogner la tête sur le mur en espérant que celui-ci finisse par bouger !
Enfin, si je ne parviens pas à m’adapter à une situation, je me trouve alors impuissant. C’est tout l'inverse du contrôle. Au lieu de me sentir responsable, je me sens faible et vulnérable. Comme un chien enchaîné dans un jardin pendant un orage. Le chien ne peut aller nulle part. Physiquement. Il est à la merci de la météo et de sa chaîne.
En règle générale, l'humain est doté d'un grand pouvoir d'adaptabilité.
Les prisonniers trouvent moyen de s'adapter à la prison dans laquelle ils sont. Les personnes qui subissent d'horribles blessures physiques trouvent des moyens de s'adapter à leurs nouvelles limites. Mais, quelle que soit la résilience humaine face aux circonstances (que j’appellerais une forme d’adaptabilité), nous devons reconnaître que certaines choses nous affectent sans consentement ET ne nous offrent aucune option acceptable. Encore une fois, même si vous n’acceptez pas le principe selon lequel la véritable impuissance existe (c’est-à-dire croire que personne n’est jamais victime), vous devez au moins admettre que le sentiment d’impuissance existe.
Et dans la plupart des organisations, le sentiment d’impuissance est omniprésent. Avec autant d’éléments en mouvement et tant de dynamiques complexes, tout le monde risque peut se sentir parfois complètement impuissant. En réalité, à moins d’être littéralement et physiquement enchaîné à votre bureau, vous n’êtes pas impuissant. Par exemple, vous pourriez trouver un autre emploi. Je ne dis pas que vous le voudriez et ne nie pas qu’il y aurait des coûts associés, mais pour finir c’est VOUS qui refuseriez l’alternative. C’est VOUS qui ne voudriez pas en faire les frais. De fait, même votre capacité d’adaptation peut se trouver limitée, c’est dur à admettre mais c’est ainsi. Au demeurant, n’appelons pas cela de l’impuissance.
Et même si vous êtes complètement impuissant face à une situation, vous pouvez toujours faire quelque chose : l’accepter. L’abandon ne s'apparente pas nécessairement à une faiblesse ou à une défaite. Parfois, reconnaître une réalité difficile est la chose la plus courageuse que l’on puisse faire.
J'espère que vous trouverez comme moi certaines de ces distinctions utiles. Elles m'ont permis de mieux comprendre l'Holacracy.
1. L'Holacracy ne dit pas que les managers ou les dirigeants ne doivent pas contrôler les gens, mais simplement qu'ils reconnaissent que ce n'est pas le cas. Ils n'ont jamais eu de « contrôle » (à moins qu'un manager n'attrape physiquement la main de quelqu'un pour le forcer à écrire un e-mail). Les managers ont toujours eu de l'influence, et il n'y a rien de mal à cela. Le problème est en fait un manque de clarté ; il s'agit de confondre l'influence avec le contrôle et vice-versa. L'Holacracy ne corrige pas automatiquement cette confusion, mais elle me permet de remarquer plus facilement lorsque je les confonds ; par exemple, l'illusion qui se cache dans des pensées telles que « Mon patron me fait refaire ma présentation ».
2. Brian Robertson dira « L'Holacracy n'enlève pas le pouvoir aux personnes au sommet, elle ne fait qu'ajouter du pouvoir à tous les autres ». Si vous avez tendance à penser que quelqu'un contrôle l'organisation (c'est-à-dire que le pouvoir est un jeu à somme nulle), cette affirmation est ridicule. Mais si vous pensez plutôt en termes d'influence ou de pouvoir de réponse, il est alors plus facile de voir comment Holacracy peut augmenter les voies d'accès pour les autres, tout en ne limitant pas les voies d'accès pour ceux qui les avaient déjà.
3. Bien que ces types de pouvoirs soient différents, ils semblent également présenter une certaine orientation en matière de développement (contrôle → influence → adaptabilité → impuissance → contrôle → influence → etc.) Ainsi, d'une manière générale, un enfant doit apprendre à se contrôler (lui-même en particulier) tout en s'adaptant à ses tentatives infructueuses de contrôler les autres. Cela conduit à des leçons d'influence qui durent toute la vie et que nous essayons de maîtriser en tant qu'adultes, en particulier lorsque nous travaillons avec d'autres adultes (c'est pourquoi l'étude du leadership est en grande partie l'étude de l'influence). Toutefois, si nous avons de la chance, nous pouvons aussi nous rendre compte des limites de l'influence (principalement le fait que la réalité ne se préoccupe pas trop de mes intentions). Notre objectif est donc davantage d'accroître notre capacité à nous adapter à ces inconnues connues, c'est-à-dire de passer d'un état d'esprit de prédiction et de contrôle à un état d'esprit de perception et de réaction. Cela nous prépare à nous confronter à de nouvelles limites et à nous y abandonner (l'« impuissance »), ce qui stimule le développement de nouvelles capacités (pour acquérir le « contrôle »).
4. C'est contre-intuitif, mais apprendre à travailler dans une organisation alimentée par Holacracy, c'est autant accepter ses limites (identifier les frontières de sa propre impuissance) qu'assumer son autorité. Le changement de pouvoir de Holacracy, s'il a lieu, n'a pas lieu dans un pays utopique où tout le monde peut devenir PDG. Il se produit dans la réalité et la réalité a des limites. Mais accepter la réalité ne signifie pas nécessairement perdre le pouvoir. J'ai constaté qu'il est beaucoup plus facile de comprendre l'Holacracy lorsque l'on accepte le principe suivant : « Chacun a le droit d'être ce qu'il est ». En d'autres termes, si vous voulez changer les choses et connaître le meilleur levier pour y parvenir, ne vous concentrez pas sur ce que les autres pensent ou ce qu'ils croient. Non pas que cela ne soit pas utile, mais parce qu'essayer de forcer quelqu'un à être différent, ne serait-ce que dans votre propre esprit, ce n'est pas mettre votre énergie au bon endroit. Au lieu de cela, j'ai découvert que la pratique de l'Holacracy devient infiniment plus facile et vous permet de changer les choses plus puissamment lorsque vous partez d'un lieu de respect et de curiosité plutôt que de jugement.
Article rédigé par Chris Cowan et traduit par HappyWork.