Si la plupart des entreprises se fixent des objectifs, seuls 16 % des salariés (1) affirment que leur entreprise établit et communique les siens de manière efficace. Pourtant, ces informations sont cruciales pour la vie de l’entreprise. Rédigées aujourd’hui sous la forme d’objectifs et résultats clés (OKR en anglais) elles soutiennent le développement d’entreprises : Intel, Google puis Netflix ou Linkedin en passant par l’ONG One (2) s’en servent.

En Suisse aussi, la méthode a fait des émules. Notamment QoQa, iconoclaste e-commerçant suisse, qui a adopté les OKR au début de l’année 2023 au terme d’une période charnière (sans compter les événements liés au Covid) : l’entreprise a en effet vu ses effectifs doubler depuis l’adoption de l’Holacratie en 2021 et compte désormais 230 talents.

Son COO (ou plutôt leader du cercle QoQa) Fabio Monte était venu nous raconter les défis de la PME, notamment (3) « comment grandir sans perdre son âme ». En adoptant les OKR, Fabio Monte souhaitait aussi encourager les employés à s’impliquer dans l’établissement des objectifs et aider les équipes à définir et atteindre des objectifs ambitieux. Et le changement de mode de gouvernance n’était finalement qu’un moyen supplémentaire d’atteindre ce but.

QoQa a pris le parti d’établir quatre grands OKR annuels, qui font ensuite « des petits » en redescendant dans les différents cercles. Ils concernent par exemple la croissance, la satisfaction de la Qommunauté ou les délais d’expédition.

Pour le premier, Fabio nous a cité 7 KR - évidemment internes à l’entreprise uniquement – qu’il a accepté de dévoiler en partie. Par exemple :

-Le nombre de profils utilisateurs remplis

-Le pourcentage d’utilisateurs actifs


-L’audience des réseaux sociaux.

Ces premières infos nous permettent déjà de deviner une intelligence arborescente des priorités : les OKR relèvent donc d’une architecture diffuse et évolutive. Même si la dernière version de la Constitution Holacracy ne requiert pas de chaque Leader de Cercle d’expliciter les priorités du Cercle (c’était une redevabilité dans la version antérieure), l’usage des OKR en général et en particulier au sein des organisations ayant adopté l’Holacratie veut que les Leaders fassent en sorte que les principaux OKR soient de véritables repères compréhensibles pour toute l’organisation.

Au sein du Cercle Général de QoQa qui réunit les principaux leaders de Cercles (« Marketing », « Communauté », « Digital », etc.) et qui définit les grandes priorités, deux mises au vert par an sont nécessaires (Fabio précise qu’une 3e session le sera bientôt). Au menu : discussions animées en intelligence collective et appuyées sur les données à jour assemblées par le rôle Data.

Les QoQasiens passent en revue leurs OKR mensuellement. Cette séance OKR (inspirée de la Triage en Holacratie) permet de repérer des OKR déficients, de prendre des mesures (actions ou projets), de célébrer ceux qui fonctionnent etc.

En tant que « Gardien des OKR », Fabio Monte s’assure que chaque cercle focalise son énergie sur les objectifs tout en préservant l’autonomie et l’énergie de chaque rôle. D’après une politique en vigueur au sein de QoQa, chaque cercle adopte forcément des OKR.

Un cercle se limite généralement à quatre OKR (trop en traiter diluerait son champ d’action et ses compétences). Ils doivent en effet activer et cumuler trois lignes de force : à la fois se focaliser, se mobiliser parfois de façon transverse et s’informer des avancées au-delà de son niveau individuel et au-delà de son cercle

A quel point la donnée et la mesure de la performance sont-elles déterminantes ? Le titre du livre référence « mesurez ce qui compte » de John Doerr, qui a popularisé la méthode OKR, en donne un indice. Chez QoQa, « livrer plus vite les colis » fut longtemps une déclaration d’intention. Un OKR sur ce point précis a permis à l’e-commerçant de dépasser l’incantation. Installer un OKR, par définition SMART(4) déclenche des actions et projets concrets.

Mais l’essentiel est ailleurs. L’essentiel est que le processus des OKR demande aux employés de fixer leurs propres objectifs, mesurables et rendus publics (consultables par tous les collaborateurs via Holaspirit par exemple). Cela responsabilise chaque membre des équipes.

Si les deux autres piliers, « co-opérer » et « s’organiser », soutenant le bon fonctionnement d’une organisation mature sont couverts par des processus décrits dans la Constitution Holacracy, le troisième, celui de la priorisation, l’est moins. Ce savoir-faire de la priorisation articulée est véritablement l’affaire des OKR.

Pour progresser sans cesse, les OKR nécessitent de la détermination !

A peine un an après s’être essayés aux OKR, les loutres de QoQa récoltent déjà les trois bénéfices suivants :

· Alignement des priorités

« avant, nous peinions à sélectionner nos priorités ; désormais, les OKR nous obligent ».

Parce que pour bien fonctionner, ils nécessitent une raison d’être (offrant une vision d’ensemble comparable à celle d’un avion à 50 000 pieds) et à des axes stratégiques à 3-4 ans (40 000 pieds) sachant que les OKR (à 30 000 pieds) vont à leur tour déterminer projets puis actions (ces dernières se situant sur le tarmac).

· Encouragement de l’autonomie

Les OKR invitent chacun-e au sein d’une organisation, à se fixer et poursuivre des priorités. Et ce, en autonomie, c’est dire de façon reliée aux OKR affichés par les autres cercles et rôles. Avec, évidemment, le droit de se tromper et de modifier ultérieurement.

· Canalisation de la créativité

Pour Fabio, « poser des priorités chez QoQa s’apparentait à nous fermer des portes ». En la canalisant par les OKR, la créativité gagne au contraire en puissance. De contraindre les QoQasiens aux OKR reste une gageure au sein de cette entreprise créée par le flamboyant Pascal Meyer et autrice, entre autres coups d’éclat, du « Mousquetaire on Tour » : une œuvre de Pablo Picasso achetée par des milliers de membres de la Qommunauté et qui sera prochainement l’objet d’une installation itinérante partout en Suisse.

Aujourd’hui, quels enseignements tire QoQa de tout cela ? Fabio Monte reconnaît : « On a d’abord posé des OKR prétendument globaux mais trop spécifiques à des métiers, qui impactaient certains cercles mais pas QoQa dans sa globalité. » Et de poursuivre :

« Les OKR corroborant ce qui va bien s’avèrent inutiles en réalité ; ce sont ceux qui permettent de nous mobiliser pour remonter la pente qui sont plus utiles ».

Par ailleurs, « il nous reste à poser des OKR un peu fous qui viendraient nourrir notre marque. Et fixer un OKR à trois ans pour tracter et repérer mieux les OKR annuels. »

Autant de perspectives, de marges de progression potentielles, d’interrogations aussi, qui nous renvoient au cheminement à l’œuvre et cette conviction qui anime les praticiens comme Fabio : l’Holacratie et les OKR, comme deux outils complémentaires, visent un grand changement d’ère.

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^{(1) emmenée par le chanteur Bono, leader du groupe U2.}

^{(2) Etude Asana 2022. 1150 répondants dans 5 pays OCDE.}

^{(3) lors d’un Meetup Holacracy à l’automne 2022. L’article traite pour l’essentiel des vitesses différenciées d’évolution entre culture et structure.}

^{(4) Spécifique, Mesurable, Ajustable*, Réaliste**, Temporalisé.}

^{*il est souvent dit que le « A » de SMART recouvre « Atteignable » ou « Ambitieux »}

^{**on lit aussi « Relevant » au sens de « en cohérence avec » ou « Relié à »}