Le
17
novembre
2020
• Par
Bastoun Talec
Le mot « confiance », en chinois, se compose de deux idéogrammes : l’homme et la parole. Stéphane Pensivy, en charge du SI des Offres et Business Grand Public pour Orange France depuis mai 2017 est un homme de parole. Loyal, il grandit au sein de Orange et fait grandir le fameux opérateur Télécom depuis plus de 25 ans. Stéphane Pensivy parle bien aussi. Il a raconté lors du Meetup Holacracy Paris son "Retour d'expédition en cours" d'une transformation managériale à l'œuvre depuis près de 3 ans. Laquelle concerne environ 450 personnes. Ce fut captivant. Enfin et surtout, Stéphane inspire et fait confiance. Voici en substance, ce qu’il nous a raconté le 27 mai 2020 :
Quand, par qui, pourquoi et comment tout a commencé ? L’aventure holacratique démarre pendant l’été 2017 lors d’une nouvelle prise de fonction de Stéphane Pensivy au sein de la DSI. Stéphane impulse cette initiative sachant que le groupe encourage le déploiement de l’agilité. Un Stéphane qui a, depuis 2015, été interpellé par des lectures telles que celles de Frédéric Laloux (reinventing organizations). Un homme qui refuse les conflits : « ils m’empêchent de dormir car je m’en sens responsable » et cherche un arbitrage entre vies personnelle et professionnelle. Lorsque son ex manager se retire, laissant son poste vacant, ce dernier échoit à ce Stéphane qui connaît bien Orange et a entamé une profonde réflexion sur lui-même et sur la façon dont il considère le travail. Enfin, il obtient un blanc-seing de son N+1 tout de même assorti de deux conditions : tant que « le biz est là » et que le changement ne crée pas de désordre majeur.
Ses premières observations, une fois son nouveau poste endossé, le conforte dans son appétit pour le changement : elles portent notamment sur « l’absence de collectif » au sein du Codir. Les exigences de reporting lui paraissent improductives, les réunions, lors desquelles chacun écluse discrètement ses mails, s’opèrent selon un flux top-down, la grande table rectangle où siège le chef le navre. Un « eye tracking » des participants dans ce genre de réunion eut montré des regards massivement orientés vers le boss et les smartphones. Pour autant, Stéphane précise avoir toujours apprécié les personnes au sein du Codir où « on s’entendait bien » mais souligne la faiblesse de la collaboration alors : « on ne s’écoutait pas ».
« Accompagner Orange dans la révolution digitale en développant un capital humain et technique innovant au service du business ». Telle fut pour démarrer la raison d’être de l’entité emmenée par Stéphane Pensivy et son codir. « Un socle hyper puissant » a insisté Stéphane lors des entretiens préparatoires au Meetup Holacracy.
Deuxième acte : identifier les rôles nécessaires à l’atteinte de cette raison d’être. Ces rôles, transverses à l’organisation (« by design »), pouvant ensuite se décliner en cercles. Et ce, « en coexistence avec la structure pré-existante et non en substitution comme l’exigerait Holacratie ». Pour quels résultats, trois ans plus tard ?
- Le Codir, rebaptisé cercle d’ancrage, s’est d’abord prêté à l’exercice… en incorporant, au fil de temps, quatre niveaux hiérarchiques en son sein.
- Une bénéfique opération de dé-silotage. Par exemple, pour le suivi d’une offre il fallait jadis trois équipes logiciel : prise de commande / facturation / livraison. Avec la gouvernance de type Holacratie, un seul cercle « production logiciel » permet de capitaliser/mutualiser sur toutes les actions relatives au développement de logiciel des offres, quelques soient les fonctions rendues par ces logiciels rendant ainsi l’entité plus efficiente.
- Ensuite, plus de précision et de plasticité sur le qui fait quoi. Plusieurs centaines de rôles, désormais évolutifs, versus quelques dizaines de postes jadis statiques.
Troisième acte : une intelligence collective jalonnée par des rituels, aiguillonnée par la poursuite du bien commun.
Vous avez dit rituels ? Il s’agit notamment des réunions de triage d’une part, de gouvernance d’autre part. Et Stéphane de confier : « Je m’applique, encore aujourd’hui [dans ces réunions], à m’exprimer après les autres ». Le Facilitateur y joue un rôle clé. A tel point que son élection, forcément sans candidat, « donne lieu à de grands moments émotionnels » précise notre invité.
Quelques jours avant son intervention, en clin d’œil au titre de celle-ci : Holacratie : la lettre et l’esprit, il nous disait : « Si on applique l’Holacratie à la lettre, on déroule des tensions de manière un peu robotique. Il importe de cultiver l’esprit, le pourquoi nous le faisons. Le Facilitateur peut être créatif lors du tour d’inclusion par exemple. »
« A quoi je sers » fut l’une de ses premières interrogations. Sain réflexe en Holacratie, Stéphane a alors relu l’extrait annexé à la Constitution de l’Holacratie décrivant l’un de ses rôles, pourtant structurel, celui de Leader de Cercle. Il s’est trouvé quelque peu désarçonné par la très faible teneur opérationnelle du rôle. Stéphane a alors réalisé que la question devient plutôt « comment servir ». Se mettre au service de la raison d’être d’une entité, d’une équipe, relève plus « de l’énergie, de la posture » que d’une to do list. Cette question de se sentir utile a rattrapé Stéphane à un autre endroit : Il se voit encore invité, en tant que manager, dans des réunions au sein de Orange, en dehors de son entité où il apporte bien moins que la personne légitime sur les sujets abordés. Subsidiarité oblige. Or « c’est rarement celui qui fait qui est aux réunions avec les « chefs » observe-t-il.
De fait, depuis l’adoption de cette approche méta managériale et directement inspirée de l’Holacratie, l’interviewé explique avoir dégagé au moins 20% de temps disponible…qu’il emploie à voir tout le monde dans les équipes deux fois par an. « Je leur parle du marché, des grands enjeux…et j’écoute ! ».
Quant au terrain des émotions, notre témoin affiche l’humilité qui le caractérise ainsi que sa démarche (« ma seule certitude : on va se tromper, faire des erreurs. Il faut s’en rendre compte tôt et réagir vite »). Il y avance donc en tâtonnant. Concrètement. En s’appuyant sur des protocoles aidants. L’art du feedback par exemple : « nous disons « Je » sur les ressentis ».
Le bilan n’est jamais définitif. Des points d’étape sont néanmoins nécessaires à tout projet de transformation. Un sondage interne diffusé au début de l’année lors d’un séminaire, reflète une conviction à 92% dans la démarche proposée. Les 45 ambassadeurs (soit environ 10% de ladite population) renforcent la dimension inclusive de la transformation managériale. Et Stéphane de marteler : « la légitimité pour prendre un sujet tient à l’énergie qu’on est prêt à y mettre. »
Et de conclure en trois points clés : pour aborder un changement profond, ne confondez pas « faire agile et être agile, faites le pour de bonnes raisons et incarnez votre démarche ».