Le
24
Avril
2023
• Par
Matéo Parent
Déployer Holacracy par-delà des frontières : c’est le défi qui a animé le néerlandais Tom Mulder ces dernières années au sein du groupe Enreach. Lors du dernier MeetUp Holacracy, nous avons eu la joie de reçevoir celui qui joue un rôle-clé dans la structuration de la gouvernance en cercles dans cette multinationale aux plus de 1200 salarié.es. Quand l’entreprise s’est plongée dans une série de rachats en pleine crise sanitaire, notre invité s’est heurté aux frontières de son organisation, dans laquelle Holacracy était déjà mise en place, et surtout aux frontières des 14 pays où le groupe s’est étendu.
Comment composer avec les différentes cultures, quand le mode de gouvernance est déjà bousculant à lui seul ? Tom Mulder dévoile pour HappyWork les leçons, méthodes et points de vigilance d’un voyage particulier, où le véhicule change de de taille et physionomie en cours de route.
Le contact humain est au cœur du groupe Enreach. D’abord à travers son offre principale, un service de communication unifiée via une plateforme qui intègre de nombreux outils (téléphonie mobile et fixe, messagerie et visioconférence en ligne, entre autres). En découle sa raison d’être : “créer la magie du contact”. Une magie qui opère début 2023 sur quelques 2,5 millions d’utilisateurs en Europe.
La crise sanitaire a fait basculer de nombreuses entreprises en télétravail, en marche forcée, ce qui a naturellement fait exploser la demande sur le secteur des communications. En parallèle, Enreach caressait déjà le rêve de devenir leader européen sur son marché, en misant sur la croissance externe. De Madrid à Copenhague, le groupe a accéléré à partir de 2017 sa fusion avec de nouvelles entités européennes, pour s’étendre aujourd’hui dans 14 pays. En cinq ans, la taille de l’équipe Enreach s’est multiplié par 6, en passant de 200 employés à plus de 1200.
La “magie du contact” ne devait pas rester un vœu pieux pour ses dirigeants, qui ont fait le choix de l’Holacracy en 2017. Tom Mulder est arrivé par la suite pour relever un double défi de taille :
1/ approfondir et étendre les pratiques post managériales
2/ harmoniser la culture du groupe à travers ces différents rachats internationaux
Dispersé sur le continent, voguant au gré des confinements, le collectif peut vite paraître décousu. “Lorsque vous vous développez de manière organique, que vous avez vraiment une équipe qui grandit ensemble, les gens s'intègrent assez facilement. Ce n’est pas le cas lorsque vous rachetez une entité”, note Tom. L’aspect international donne vite au tout des airs de tour de Babel.
A son arrivée en 2022, Tom identifie trois principaux défis à relever dont il fait autant de priorités. La vitesse fulgurante, déjà. “Nous avions la pression de l’intégration de toutes ces nouvelles personnes, et donc pas le temps pour l’apprentissage [de l’Holacracy].” Tom observe aussi un accueil inégal réservé à Holacracy selon les nouvelles entités :
"Les nouvelles directives sur le mode de management n’étaient pas le choix des personnes rejoignant Enreach. Elles peuvent avoir la sensation que la marche à suivre est forcée, ce qui peut créer des frustrations."
Ces frustrations se meuvent très facilement en résistances, “qui peuvent être d’autant plus fortes qu’il y a de disparités culturelles et linguistiques.” Enfin, infuser la gouvernance en cercles dans les nouvelles entités du groupe est vital aux yeux de l’équipe dirigeante, car la redistribution des rôles et du pouvoir permet à la magie du contact de prendre corps en interne.
Pour embarquer tout le collectif dans ce voyage, Tom a maintenu un double cap, à la fois organisationnel et humain.
La structure du collectif, d’abord : “Avec toutes ces acquisitions et toutes ces entités différentes qui sont arrivées, une grosse priorité était de créer une méthode de travail unique pour l'ensemble de l'organisation.” Cela va de pair avec une grande clarté, “pour que tout le monde sache clairement quelles sont les règles en vigueur, et comment obtenir des informations commerciales pour tout le monde.”
C’est aussi l’humain que Tom place au cœur de ses efforts :
"On voulait vraiment que chacun apporte son énergie à l'organisation, et nous assurer que nous pouvions utiliser tout le potentiel de chaque membre de Enreach."
L’harmonisation culturelle doit se faire avec beaucoup de pédagogie, explique notre invité : “nous devons vraiment les accompagner, leur faire comprendre que l'Holacracy est un pas en avant et pourquoi c'est le cas.”
Tom Mulder a appuyé sa conduite du changement sur quatre principes structurants.
MOINS MAIS MIEUX. “Très souvent, ce que l'on voit, c'est que les gens arrivent dans une entreprise et reçoivent une formation d'un ou deux jours, puis ils entrent dans les cercles et c'est tout.“ Intenable pour Tom, qui privilégie la qualité de l’accompagnement à la rapidité d’exécution. Former peu d’ambassadeurs, mais leur enseigner une connaissance de fond de l’Holacracy, pour diffuser technicité, certes, mais également manière d’être dans toute l’organisation. La formation vise particulièrement les facilitateurs de cercles. “Ils sont capables d'aider l'équipe à passer en douceur par la gouvernance et faire évoluer leur façon d'interagir et d'opérer, ils sont aussi capables de donner quelques petits trucs supplémentaires sur l'autorité.”
COMBLER LE FOSSÉ CULTUREL. “Plusieurs de nos collègues n'ont pas les compétences nécessaires pour suivre nos formations en anglais. Nous avons donc des personnes qui s'occupent de la partie française, de la partie allemande et de la partie espagnole.” Enreach a formé des ambassadeurs dans chaque pays, qui adaptent le discours et la langue aux équipes locales. Au-delà des préoccupations linguistiques, cette méthode permet une adaptation en profondeur aux cultures locales.
LES ANCIENS EN PRIORITÉ. Impliquer en premier lieux les équipes de direction initiales permet de déployer l’Holacracy plus vite et plus en profondeur dans l’organisation. “Nous ne voulons pas que nos managers quittent leurs anciennes fonctions de direction. Nous voulons qu'ils restent sur le podium, et nous invitons tous nos collègues à monter également sur ce podium, et travailler ensemble d'un point de vue non hiérarchique.”
UNE GRANDE CLARTÉ ORGANISATIONNELLE. “Nous voulons nous assurer que tout le monde est au courant de ce qui se passe, à tous les endroits de l'organisation.” Cela passe en grande partie par un accès de tout le monde à l’outil Holaspirit. Enreach l’utilise notamment comme un organigramme clair, que les équipes remplissent avec de nombreuses informations connexes. Cela permet à chacun de voir ce qui se passe dans les cercles, et de savoir à qui il peut s'adresser.
Chez Enreach, l’Holacratie n’est pas une utopie. L’équipe dirigeante, épaulée par Tom, a réussi à tenir la barre de cette double acculturation, dans un contexte de Covid. Pour ce faire, Enreach s’est entouré de coachs expérimentés, qui ont formé les équipes sur la longueur en traitant les tensions avec humanité et méthode. Un point sur lequel notre invité a insisté :
"Il est vital d'avoir des coachs homologués de qualité. C'est quelque chose qui fait vraiment partie de mon rôle de m'assurer que nous avons ces coachs internes compétents. Je vous conseille de ne pas hésiter à faire appel à une aide extérieure, et de vous assurer que les coachs internes disposent d'un programme de formation."
Redistribuer le pouvoir, mettre de la clarté sur les rôles de chacun n’est pas une tâche aisée sans structure claire. Tom conclut : “Dans une hiérarchie managériale, on dépense beaucoup d’argent pour former les managers, qui sont perçus comme des key people. De notre côté, on préfère investir dans tout un système, qui concerne bien plus qu’une poignée d’individus.”
Pour ce faire, Enreach s'est entouré, outillé et inscrit dans la durée pour réussir son pari osé grâce à l’Holacratie : maintenir la magie du contact en interne, au-delà des frontières.