Le
18
NOVEMBRE
2024
• Par
Bastoun Talec & Soizic Thiébaud
« La mise en pratique de l’Holacracy n’est pas un long fleuve tranquille » nous confie d’emblée Grégory Lecygne, Engineering Manager chez Sfeir, cabinet de conseil et d’expertise technologique.
Dans un environnement en perpétuelle évolution, où les attentes des collaborateurs et les exigences des marchés nécessitent une organisation flexible et réactive, Sfeir a su s’adapter tout en cultivant une culture d'innovation. En expérimentant un modèle d’organisation inspiré de l'Holacracy sans en adopter tous les aspects ni l’étendre à tous les collaborateurs , Sfeir prouve qu'il est possible d’adopter partiellement ce modèle lequel a contribué à accompagner sa forte croissance.
Dès 2007, Sfeir a fait preuve d’audace en embrassant résolument les méthodes agiles au sein de ses projets de développement. Dès 2009, l’entreprise organise son entité Engineering en « centre de compétences », où les consultants développeurs sont aiguillonnés par leurs pairs. En 2013, Sfeir confie son recrutement aux Sfeirians, via les PlayOffs, pour attirer les meilleurs développeurs (soft et hard skills) en se basant sur la collégialité et le consentement. Cette démarche favorise la prise de décision collective, un principe qui reste central dans la Sfeir culture.
En 2014, Sfeir a encore renforcé sa démarche d'innovation en lançant les « Sfeir Schools », des formations gratuites qui mettent en avant le partage de compétences avec la communauté. Puis, en 2017, Pierre Dalmaz, le Directeur Général, décide de prendre du recul avec la vie opérationnelle et initie un changement de gouvernance, afin de laisser davantage d’autonomie aux managers des différentes entités. Didier Girard prend alors le poste de VP Engineering.
En 2017, un groupe de team leaders, dans l’agence de Paris, a entrepris de réinventer la structure de management en s'inspirant du modèle Holacracy. Didier Girard, alors un acteur clé du changement, soutient cette initiative qui vise à encourager la prise d’initiative et à « hacker » le management traditionnel. L’objectif est de créer un cadre de gouvernance à la fois adapté à la culture et maintenant une certaine agilité.
Ce modèle hybride, appelé « Holacracy by Sfeir », conserve une structure managériale classique pour le suivi de carrière tout en ajoutant un axe de gouvernance opérationnelle qui favorise l’autonomie et la collaboration interservices. Cette approche pragmatique permet aux consultants de s’épanouir dans leurs « terrains de jeu » tout en bénéficiant d'un référentiel explicite et partagé pour opérer, clarifier qui fait quoi et jeter de la lumière sur des micro rôles en dehors de celui de consultant.
Grégory Lecygne œuvre depuis 25 ans chez Sfeir. Aujourd'hui "historien Holacracy en interne", il fut la cheville ouvrière de son amorçage - au sein du Cercle Sfeir Factory - et en est désormais référent.
L’adoption partielle de l'Holacracy chez Sfeir a été motivée par une forte croissance et un besoin d'organisation. Avec une croissance à deux chiffres, l’entreprise a dû trouver une méthode pour coordonner efficacement les équipes. [lire aussi à ce sujet notre article relatif à la fulgurante progression de l'e-commerçant QoQa ayant adopté Holacracy en 2021]. L'Holacracy a permis de dépersonnaliser les rôles, chaque tâche étant assignée à un rôle spécifique et non d’abord à une personne, ce qui a renforcé la structure en période de forte expansion.
Le passage de relais à Didier Girard, qui prend la direction de Sfeir, marque également un tournant. La gouvernance de chaque entité est alors assurée par un duo « business » et « engineering », assurant un équilibre entre la rentabilité et les perspectives techniques. Cette configuration favorise une prise de décision collégiale, limitant le biais purement commercial.
Cependant, comme toute transition organisationnelle, la mise en place de l'Holacracy chez Sfeir n'a pas été sans défis.
L’adoption de la version 4.1 de l'Holacracy (Constitution en vigueur en 2017, complexe, depuis simplifiée par l'avènement de la V5 en 2021), a exigé des ajustements. Par ailleurs, bien que les cercles et les rôles aient été définis, certains cercles sont devenus moins actifs sous la pression économique, avec des collaborateurs qui peinent à animer ces structures sur leur temps libre.
Cette adaptation a également nécessité des efforts constants d’acculturation. Sfeir a mis en place des sessions d’intégration pour familiariser les nouveaux consultants avec les principes de l'Holacracy. Les nouveaux entrants reçoivent ainsi un package, incluant l’excellente bande dessinée conçue par feu Bernard-Marie Chiquet, créé en partenariat avec une société de consulting, pour faciliter leur immersion dans cette culture d’entreprise.
Cela dit, outre, nous l'avons vu, une forte croissance (Sfeir comptait 300 collaborateurs en 2017 et bientôt 1 000) l'entreprise a rencontré trois autres défis et autant de limites à sa pleine adoption de l'Holacracy :
A l'instar de Holacracy, les méthodes agiles privilégient l'action et l'ajustement à la planification, le prochain pas concret à la solution abstraite. Agilistes depuis dix ans à l'heure de s'essayer à l'Holacracy, les Sfeiriens y étaient prédisposés.L'expérience de Sfeir démontre qu'il est possible de réussir la mise en place d'un organigramme en cercles corroborant une culture agile de distiller , même partiellement, l'adoption de réflexes holacratiques efficaces en adaptant le modèle à la culture et aux contraintes de l'entreprise. Ce cadre hybride favorise l'autonomie tout en conservant une structure managériale, permettant aux collaborateurs de s’épanouir dans un environnement où ils peuvent contribuer activement à l'organisation.