Le
03
décembre
2021
• Par
Bastoun Talec
Si l’immobilisme est notre tentation, le mouvement reste notre vocation. Depuis l’apparition de Sapiens (-300 000 ans environ) l’humain a vécu nomade 97% de son temps de séjour sur Terre. Depuis environ 10 000 ans, l’humanité s’est progressivement et massivement sédentarisée. Implantée avec l’avènement de l’agriculture. Organisée avec ses corollaires : le stockage, la comptabilité, la fiscalité, l’Etat.
Jusqu’en 1800, 95% de la population fut rurale, majoritairement assignée au pays. Paysanne. En 2050, 75% des humains se seront agglomérés. Une majorité sera mobile, sinon nomade. Déjà, les « bien partout », bipèdes ultra connectés dont l’ordinateur fait office de bureau, vivent la version à la fois sophistiquée et édulcorée de notre ancestrale condition humaine, itinérante.
Les rares peuples chasseurs cueilleurs subsistant encore, nous renseignent sur notre profond nomadisme. Les céréales puis l’élevage nous ont littéralement domestiqués, c’est-à-dire forclos au domus. Obligé à mettre dans la grange. Conditionné à engranger. Abrité des aléas. Illusionné d’une relative permanence.
Le changement climatique nous enjoint à « atterrir » (Bruno Latour) à habiter la Terre autrement. A nous départir de notre culture d’accumulation. A nous relier c’est-à-dire à renouer. Avec la frugalité, avec le nomadisme. A tout le moins avec les postures mentales inhérentes à la sobriété et au cheminement. A considérer la sédentarité comme une parenthèse de notre histoire et non comme une donnée première. A comprendre à quel point nous sommes locataires et non propriétaires.
Le changement organisationnel – qu’il s’agisse de transformation digitale, de restructuration, de change management – ne consiste pas à aller de A à B. On ne « conduit » plus le changement. On s’y prédispose. Et ce, en adaptant sans cesse la carte et les troupes au territoire.
Les gens veulent bien changer. Ils ne veulent pas être changés. Les groupes humains s’adaptent à ce qui advient, conscients de ce que le contexte change avant leur état. Ainsi, le Sars-Cov-2 a accéléré l’histoire du management. En forçant des inflexions comportementales sans déclaration d’intention ontologique préalable. Pour le meilleur, la majorité des actifs a acquis, dans les trois premiers mois de la pandémie, des compétences digitales qu’elle eut mis des années à maîtriser en temps normal. Beaucoup se sont retrouvés de fait, sinon de droit, autonomes et responsables au foyer tandis que les sièges sociaux se vidaient, les hubs décisionnels s’éparpillaient. Pour le pire, le télétravail à 100% dans des conditions non adaptées a pu s’avérer délétère. Pour l’essentiel, les « réfractaires au changement » n’existent pas. Il n’y a que des personnes mal ou différemment renseignées sur l’évolution contextuelle. Il n’y a que des personnes diversement brutalisées ou impactées par ladite évolution. Vous connaissez l’histoire de la grenouille plongée dans l’eau lentement portée à ébullition. Elle y reste et en meurt. Et l’histoire de ce même batracien, qui, tout à coup passe d’une eau ambiante à frémissante, en réchappe.
Que ce soit parce que le monde change et/ou parce qu’il faille changer le monde, il en va des organisations comme des individus ; il s’agit moins de les changer que de les aider à épouser leur contexte. Plus qu’à se transformer,
les organisations comme les personnes y œuvrant gagneront à se détendre. A devenir ductile.
Et vous, quelle est votre démarche : pieds nus ou les deux pieds dans le même sabot ?